Un autre oiseau dit à la huppe :
« 0 protectrice de l’armée de Salomon ! Moi je suis impuissant à entreprendre ce voyage.
Je suis faible et sans force, je ne pourrai aborder un tel chemin.
Il y a une longue vallée à parcourir, et le chemin est difficile ;
Je mourrai à la première station.
On trouve beaucoup de volcans et de dangers sur la route ; aussi ne convient-il pas à tout le monde de s’engager dans une telle entreprise.
Là des milliers de têtes roulent comme des boules de mil, car il en a péri beaucoup de ceux qui on été à la recherche du Simorg.
Des milliers d’intelligences ont reconnu leur néant... et, si elles ne l’ont pas fait, elle y ont été contraintes.
Dans un tel chemin, où les hommes les plus sincères ont caché par crainte leur tête sous un linceul, que deviendrai-je, moi, malheureux, si ce n’est de la poussière ?
car si j’entreprenais un tel voyage mourrais dans les gémissements. »
« 0 toi qui es si abattu ! lui répond la huppe, pourquoi ton coeur est-il ainsi serré à ce sujet ?
Puisque tu as peu de valeur dans ce monde, que tu sois jeune et vaillant, vieux et faible, c’est la même chose !
Le monde est comparable à un tas d’ordure ; les créatures y périssent à chaque porte.
Des milliers de personnes, comme le ver à soie qui jaunit, périssent au milieu des pleurs et de l’affliction chaque jours.
Il vaut mieux perdre misérablement la vie dans la recherche que je propose, que de languir désolé dans l’infamie.
Si nous ne réussissons pas dans cette recherche et que nous mourions de douleur, eh bien tant pis.
Comme les fautes sont nombreuses dans le monde, il est bon d’en éviter une nouvelle.
L’amour a beau être considéré par quelques-uns comme une folie, à vaut mieux cependant s’y livrer que de balayer et de poser des ventouses.
Des milliers de créatures sont astucieusement occupées à la poursuite du cadavre de ce monde.
En supposant même que la chose se fasse sans astuce, n’y prends aucune part, et mon chagrin sera moindre.
Quand feras-tu de ton coeur un océan d’amour ? si tu te livres et participes à ce commerce, surtout avec astuce ?
Certains diront que le désir des choses spirituelles est de la présomption, et qu’on ne saurait parvenir là où n’est parvenu personne.
Mais ne vaut-il pas mieux que je sacrifie ma vie dans l’orgueil de ce désir plutôt que d’attacher mon coeur à une boutique ?
J’ai tout vu et tout entendu, et rien n’a ébranlé ma résolution.
J’ai eu longtemps affaire avec les hommes, et j’ai vu combien il y en a peu qui soient vraiment détachés des richesses .
Tant que nous ne mourrons pas à nous-mêmes et que nous ne serons pas indifférents aux créatures, notre âme ne sera pas libre.
Un mort vaut mieux que celui qui n’est pas entièrement mort aux créatures de ce monde, car il ne peut être admis derrière le rideau.
Le mahram de ce rideau doit avoir une âme intelligente.
Quand on prend part à la vie extérieure, on n’est pas homme de la vie spirituelle.
Mets-y le pied si tu es un homme d’action, et retire à la fin tes mains des ruses féminines.
Sache sûrement que si même cette recherche était impie, c’est cependant ce qu’il faut faire, et la chose n’est pas facile. Le fruit est sans feuilles sur i l’arbre de l’amour.
Dis à celui qui a des feuilles renoncer. »
Lorsque l’amour s’est emparé d’une personne, il enlève le coeur.
L’amour plonge l’homme dans le sang il le jette, la tête un bas, en dehors du rideau.
Il ne le laisse pas tranquille un seul instant avec lui-même ;il le tue, et demande encore le prix du sang.
L’eau qu’il lui donne à boire, ce sont des larmes ;
le pain qu’il lui donne à manger a pour levain du sang.
Mais si à cause de sa faiblesse il est plus débile que la fourmi,
l’amour lui prête à chaque instant de la force.
Lorsque l’homme est tombé, dans l’océan du danger, comment pourra-t-il manger une bouchée de pain s’il manque de courage ?