L’amoureux rossignol se présenta d’abord ; il était hors de lui-même par l’excès de sa passion. Il exprimait un sens dans chacun des mille tons de ses chants, et dans ces sens divers se trouvait contenu un monde de secrets.
Il célébra donc les secrets du mystère, au point qu’il ferma la bouche aux autres oiseaux.
« Les secrets de l’amour me sont connus, dit-elle toute la nuit je répète mes chants.
N’y a-t-il pas quelque être malheureux comme David à qui je puisse chanter de mélancoliques psaumes d’amour ?
C’est à l’imitation de mon chant que la flûte gémit... et que le luth semble faire entendre des plaintes
Je mets en émoi les parterres de roses aussi bien que le coeur des amants.
J’enseigne sans cesse de nouveaux mystères
à chaque instant je répète de nouveaux chants de tristesse.
Lorsque l’amour me fait violence, je fais entendre un bruit pareil à celui des vagues de la mer.
Quiconque m’écoute perd la raison...
il est dans l’ivresse, quelque empire qu’il garde ordinairement sur lui-même.
Si je suis privé pendant longtemps de la vue de ma rose chérie, je me désole et je cesse mes chants, qui dévoilent les secrets.
Lorsqu’elle répand dans le monde, au commencement du printemps, son odeur suave, je lui ouvre gaiement mon coeur, et, par son heureux horoscope, mes peines cessent...
mais le rossignol se tait lorsque sa bienaimée ne se montre pas.
Mes secrets ne sont pas connus de tout le monde...
mais la rose les sait avec certitude.
Entièrement plongé dans l’amour de la rose, je ne songe pas du tout à ma propre existence... je ne pense qu’à l’amour de la rose ;
je ne désire pour moi que la rose vermeille.
Atteindre au Simorg, c’est au-dessus de mes forces,
l’amour de la rose suffit au rossignol.
C’est pour moi qu’elle fleurit avec ses cent feuilles ; comment donc serais-je malheureux ?
La rose qui s’épanouit aujourd’hui pleine de désirs... pour moi sourit joyeusement.
Lorsqu’elle ne se montre à moi que sous le voile, je vois même évidemment qu’elle me sourit.
Le rossignol pourrait-il rester une seule nuit privé de l’amour d’un objet si charmant ? »
La huppe répondit au rossignol :
« 0 toi qui es resté en arrière,
occupé de la forme extérieure des choses
cesse de te complaire dans un attachement séducteur. L’amour du minois de la rose a enfoncé dans ton coeur bien des épines. Il a agi sur toi et il t’a dominé.
Quoique la rose soit belle, sa beauté disparaît dans une huitaine de jours.
Or l’amour d’une chose évidemment si caduque ne doit provoquer que le dégoût des gens parfaits.
Si le sourire de la rose excite tes désirs, c’est pour t’attirer jour et nuit dans le gémissement de la plainte.
Laisse donc la rose et rougis...
car elle se rit de toi à chaque nouveau printemps, et elle ne te sourit pas. »