Le héron vint ensuite en toute hâte, et il parla ainsi aux oiseaux sur sa position :
" Ma charmante demeure est auprès de la mer, là où personne n’entend mon chant.
Je suis si inoffensif, que qui que ce soit ne se plaint de moi dans le monde.
Je siège soucieux sur le bord de la mer, triste et mélancolique.
J’ensanglante mon coeur par le désir de l’eau ... que puis-je devenir si elle me manque ?
Mais, comme je ne fais pas partie des habitants de la mer, je meurs, les lèvres sèches, sur son bord.
Quoique l’Océan soit très agité, et que ses vagues viennent jusqu’à moi, je ne puis en avaler une goutte.
Si l’Océan perdait une seule goutte d’eau, mon coeur brûlerait de dépit.
A une créature comme moi, l’amour de l’Océan suffit ; cette passion suffit à mon cerveau.
Je ne suis actuellement en souci que de l’Océan ; je n’ai pas la force d’aller trouver le Simorg ; je demande grâce.
Celui qui ne recherche qu’une goutte d’eau pourra-t-il s’unir au Simorg ? »
« 0 toi qui ne connais pas l’Océan ! lui répondit la huppe, sache qu’il est plein de crocodiles et d’animaux dangereux,
que tantôt son eau est amère, tantôt saumâtre, tantôt calme, tantôt agitée.
C’est une chose changeante et non stable ; quelquefois en flux et quelquefois en reflux.Bien de grands personnages ont préparé un petit navire pour aller sur cet Océan, et sont tombés dans l’abîme, où ils ont péri.
Le plongeur qui y pénètre n’y trouve que de l’affliction pour son âme, et, si quelqu’un touche un instant le fond de l’Océan, il reparaît bientôt mort sur sa surface, comme l’herbe.
D’un tel élément, qui est dépourvu de fidélité, personne ne doit espérer d’affection.
Si tu ne t’éloignes pas tout à fait de l’Océan, il finira par te submerger.
Il s’agite lui-même par amour pour son ami ; tantôt il roule ses flots, tantôt il fait entendre du bruit.
Puisqu’il ne peut trouver pour lui-même ce qu’il désire, tu ne trouveras pas non plus en lui le repos de ton coeur.
L’Océan n’est qu’un petit ruisseau qui prend sa source dans le chemin qui conduit à l’ami ;
comment t’en contenterais-tu donc et te priverais-tu de voir sa face ? »