Un autre oiseau dit à la huppe :
« O éminent oiseau !
l’amour d’un objet charmant m’a rendu esclave ;
cette affection s’est emparée de moi, elle m’a enlevé la raison et m’a dominé complètement.
L’image de cette face chérie est comme un voleur de grand chemin ;
elle a mis le feu à la moisson de ma vie.
Loin de cette idole, je n’ai pas un instant de repos.
Je me croirais infidèle si je me décidais à vivre sans elle.
Comment, moi désolé, dont le coeur est enflammé par la passion, pourrais-je me mettre en route ?
On a tout d’abord à franchir une vallée où il faut supporter cent épreuves.
Comment pourrais-je me priver de voir, même pendant quelque temps, la joue de cette face de lune pour chercher la route que tu m’indiques ?
Ma peine ne saurait être calmée par la main du remède.
Mon amour est au-dessus de la foi et de l’infidélité.
Ma piété ou mon impiété dépend de mon amour ;
Le feu qui est dans mon cour provient de son amour.
A défaut de confident pour mon amour, j’ai mon chagrin, qui me suffit.
Cet amour m’a jeté dans la poussière et dans le sang ;
les boucles de cheveux de son objet m’ont fait sortir de ma retraite.
Mon faible est tel à son égard que je ne puis rester un instant sans le voir.
Je suis la poussière de son chemin, et, souillé de sang, que puis-je faire ?
Voilà quel est en ce moment l’état de mon coeur ; que puis-je donc faire ? »
"O toi qui es resté attaché à ce qui est visible ! répond la huppe,
et qui es resté, de la tête aux pieds, dans le trouble qui en est la suite,
sache que l’amour des choses extérieures est autre que l’amour contemplatif du Créateur invisible.
L’amour charnel est un jeu qui t’assimile aux animaux.
L’amour qu’inspire une beauté passagère ne peut être que passager.
Tu donnes le nom de lune sans décroissance à un corps extérieur composé d’humeur et de sang.
Il est une beauté qui ne décroît pas, et c’est une impiété que de la méconnaître.
Y a-t-il rien de plus laid au monde qu’un corps qui n’est composé que d’humeur et de sang ?
Peux-tu, de bonne foi, estimer un objet dont la beauté n’est qu’humeur et sang ?
Tu as longtemps erré, auprès de la forme extérieure, à la recherche de l’imperfection.
La vraie beauté est cachée, cherche-la donc dans le monde invisible.
Si le voile qui dérobe à nos yeux ces mystères venait à tomber, il ne resterait ni habitant ni habitation dans le monde ; car toutes les formes visibles seraient anéanties, et tout ce qui paraît excellent serait avili.
Cet amour pour les choses extérieures, auquel tu te livres dans tes vues étroites, rend les uns ennemis des autres.
Mais l’amour des choses invisibles, c’est l’amour sans souillure.
Si ce n’est pas ce pur amour qui occupe ton esprit, le repentir te saisira bientôt ! »